S'ils savaient combien d'argent brasse exactement Chez Tonton et comparaient la somme avec ce qu'ils gagnent, ses employés auraient la preuve concrète qu'ils se font enculer large et profond. Comme tous les patrons, Patrick M. dit toujours que les affaires ne marchent pas si bien, qu'il faut encore faire un effort, qu'on ne peut pas se permettre d'augmenter les salaires, que si ça continue comme ça on sera obligé de réduire l'équipe, qu'avec tous les soucis, les frais, les charges, les impôts, le loyer, patron est un boulot de chien, les employés ne savent pas la chance qu'ils ont.Julien Syrac, traducteur (dont Le Chronométreur du Suédois Pär Thörn, publié chez Quidam ou Le silence n'est plus à toi de la Turque Aslı Erdoǧan, chez Actes Sud), a d'autres cordes à son art : il peint, dessine, écrit... La Halle est son premier roman.
Espérons que ce ne soit pas le dernier, vu son talent de Zola des temps modernes : engagé, au style réaliste, expressif et poétique.
Julien Syrac peint avec justesse la misère humaine, le racisme et le sexisme ordinaires. Il retranscrit parfaitement le langage populaire de certains personnages odieux (Patrick M. ou Michel) ou les réflexions philosophiques du beau et cultivé Roumain Avi qui répond à l'imbécilité par son sourire d'idiot du village qu'il n'est pas.
En guise d'introduction, le premier chapitre nous plonge dans la réalité crue d'une chaîne de production de saucissons industriels, en commençant par l'élevage intensif de porcs et leur transition par l'abattoir.
Révoltés et dégoûtés, nous le serons davantage encore quand, dans les pages suivantes, les dits saucissons seront vendus sous l'appellation "Saucissons artisanaux du terroir" par le narrateur, employé dans la Halle.
Cette fameuse Halle de la ville de Marrec, vivante et bruyante — que l'on peut voir aussi comme un ventre ou un personnage monstrueux — sera le théâtre d'une tragédie sociale moderne.
Ce monde cosmopolite (où les étrangers sont souvent les plus sympathiques) grouille et gargouille jusqu'au sous-sol. Ça magouille et ça se débrouille, alors qu'au premier étage d'autres affaires se trament...
Heureusement, grâce à l'artiste syrien Fouad ou à l'inaccessible et bellissima libraire italienne Alma, il est aussi question d'art et de littérature.
Il faudrait creuser dans les nuages à la pelleteuse pour apercevoir un jour le ciel. Les gueules sont du même gris. Les gens n'achètent pas. Les employés s'ennuient. Les ventes stagnent. Quelque part en banlieue, un type se défenestre. Les autres se soûlent à mort. Tout ça porte un nom : février. Avec novembre le mois le plus triste de l'année à Marrec. Les deux creux de part et d'autre de la bosse de Noël. Là où les affaires s'enlisent. Patrick M. a beau toujours dire que la seule règle dans la vente, c'est qu'il n'y a pas de règle, février est toujours un mois noir pour le commerce. Mais les saucissons restent à vendre.Éditions La Différence, 2017, 208 pages.
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