samedi 18 mai 2019

Du grand Arlt

Eaux-fortes de Buenos Aires est un recueil des chroniques journalistiques et littéraires écrites par Roberto Arlt (journaliste, dramaturge, écrivain) dans les années 1928 à 1933 et publiées dans le journal El Mundo.
Elles sont si réalistes et vivantes qu'on les lit comme une conversation, une promenade en compagnie de l'écrivain, un feuilleton de l'époque ou des photographies commentées — d'où ce titre d'eaux-fortes, gravures à l'acide — mais certaines auraient pu être écrites ce matin.
Il étudie les mœurs de ses contemporains et y va de sa plume acérée, critique mais aussi comique, ironique, avec un style d'une grande modernité, au vocabulaire familier et argotique.
Nous voilà plongés dans le quotidien des rues de la capitale argentine, les rencontres du hasard, les personnages typiques de l'époque (L'homme au maillot ajouré), les boutiques insolites (Atelier de restauration de poupées), les traces du passé, des scènes vécues dans le tramway et autres mystères des attitudes humaines, les bienfaits de la gymnastique suédoise jusqu'à la jalousie, le célibat, les subtilités de la langue portègne... S'il lui arrive de broder sur le manque d'inspiration, il fait feu de tout bois, surtout quand le courrier des lecteurs lui tend de belles perches.
À un lecteur qui lui demande quels livres conseiller à des jeunes afin "d'en tirer un concept clair et profond de l'existence", son sang ne fait qu'un tour et il lui répond de façon caustique :
Vous n'avez donc rien d'autre à faire, très cher lecteur. Mais où vivez-vous ? Pouvez-vous vraiment croire, ne serait-ce qu'une seconde, qu'on puisse tirer des livres "un concept clair et profond de l'existence" ? Vous vous trompez, mon ami, vous vous trompez sur toute la ligne. Les livres, ça rend malheureux, croyez-en mon expérience. Je ne connais pas un seul homme heureux qui lise. Et j'ai des amis de tous les âges. Tous ceux qui ont des vies compliquées ont lu. Et ils ont beaucoup lu, malheureusement, beaucoup.
La chronique toute en contradictions est intitulée De l'inutilité des livres et présente les écrivains comme des baratineurs qui nous racontent des histoires et ne prétendent qu'à leur propre vérité et non une vérité universelle.
Et c'est pour cela que nous aimons lire, encore et encore, des pépites comme celle-ci.
Du grand Arlt.

Éditions Asphalte, 2019, 240 pages.
Avec une play-list sélectionnée par la traductrice Antonia García Castro pour une totale immersion dans l'univers de Roberto Arlt.

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