vendredi 6 janvier 2023

L'âme du Canada

Le territoire sauvage de l'âme de Jean-François Létourneau est un premier roman, magnifique, profond et grave, qui se passe au Canada, et notamment chez les Inuits, dont la culture est aussi menacée que la nature qui les entoure.
Vu de l'Europe du sud où le moindre flocon provoquent la panique, ces grands espaces gelés paraissent toujours un peu exotiques — dans le sens de lointain et inhabituel — avec ses hivers interminables.
L'écriture de l'auteur nous emmène en voyage là-bas, avec des parties de chasse et de hockey sur glace, du camping sous la tente dans la forêt ; mais aussi dans des paysages intérieurs d'une grande sensibilité.
Guillaume est devenu père de famille et se souvient de l'époque où il était un jeune professeur nommé, pour son premier poste, au fin fond septentrional du pays, autant dire au bout du monde où vivent des Inuits depuis des millénaires.
Ensuite, il n'y a que neige et toundra.

L'avion décolle, arrache ses tonnes de mécanique au macadam de la piste, soulève ton cœur jusque dans ta gorge. Dans deux heures et demie, tu auras survolé du sud au nord l'immense territoire où tu es né. Montréal-Kuujjuaq. Bienvenue sur les ailes de First Air.
Autour de toi, des familles discutent en inuktitut. Tu ne comprends rien, n'arrives pas à distinguer à quel moment les mots commencent, quand ils se terminent. On dirait une seule et même phrase tirée d'un pays inconnu. Les parents rient entre eux, les enfants boivent du Coke en se chamaillant, surexcités par leur séjour en ville, le fast-food, les embouteillages, les magasins à grande surface. Tu aimerais leur parler, ne peux que leur sourire.
À l'avant, des passagers penchés sur leur portable anthropologues, biologistes, géologues. Pour les rescapés des études supérieures, le Nord est un grand terrain de jeu. Mythique, enneigé, infini. Une illusion. 

Au début, c'est rude : la culture et la langue lui sont inconnues. Il doit se faire accepter. Les autochtones sont méfiants — et on les comprend — car les jeunes professeurs finissent toujours par repartir.
Le livre est aussi une réflexion sur le monde naturel tel qu'il était et où il va — à cause de la cupidité des hommes.
Un roman admirable.

Éditions de l'Aube, 2023, 168 pages.

Lire aussi mes chroniques sur cet autre écrivain canadien, Éric Plamondon :
- Taqawan
- Aller aux fraises
- Oyana.

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