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Illustration de couverture de Natacha Eloy
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Une superbe revue vient de voir le jour à La Réunion, Fan(m)zine, avec de très beaux textes et illustrations, exclusivement composés par des femmes et autant de belles surprises. Une douzaine d'autrices s'exprime ainsi pour le meilleur et pour les filles ! (mais non, au contraire ces lectures intéressent tout le monde)
Pour en savoir davantage, nous avons interrogé son éditrice, Julie Legrand.
Comment est née
l'idée de Fan(m)zine ?
Fan(m)zine est né d'un
retour d'expérience. D'une envie de faire cohabiter les textes
courts (nouvelles, poèmes, fonnkers) et/ou illustrations
d'autrices dans un ouvrage collectif.
Pourquoi le format
court ?
En tant qu'autrice, j'ai
publié plusieurs recueils de nouvelles. C'est une forme que
j'affectionne de lire et d'écrire, bien qu'elle ne soit pas (assez)
valorisée en France. Le parcours de l'autrice américaine JoyceCarol Oates, par exemple, a toujours été pour moi une référence.
Que ce soit en tant que nouvelliste ou en tant qu'éditrice
puisqu'elle a codirigé pendant de longues années la revue littéraire
Ontario Review. Ses nouvelles ont été pour la plupart
publiées en revues avant d'être rassemblées en recueils. Pour un
auteur outre-Atlantique, c'est une façon classique de faire ses
armes littéraires. Ce modèle, cette inspiration, ont influencé mon
propre parcours.
Mes textes ont paru dans
différentes revues indépendantes, recueils d'éditeurs ou de
libraires. J’aime cette notion de collectif qui constitue des
familles et permet aux textes de circuler. À La Réunion, je
collabore depuis plusieurs numéros avec la revue
Kanyar qui
rassemble les contributions d'auteurs débutants ou confirmés, et
privilégie les textes exigeants, libres, audacieux. Ses auteurs
prennent plaisir à échanger, lors des séances de dédicaces et/ou
de salons littéraires, en créant une dynamique de groupe qui
devient source de projets collaboratifs. Éprouver ce collectif m'a
donné envie de me lancer en proposant aux autrices de mon entourage
de m'accompagner dans l'aventure
Fan(m)zine et de créer ainsi, en
quelque sorte, un cercle vertueux.
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Dear diary de Jeanne Overton
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Pourquoi ce titre,
Fan(m)zine ?
En réfléchissant à la
forme que j'allais donner au projet, celle du fanzine m'est venue à
l'esprit, parce que je ne voulais pas publier un recueil de nouvelles
classique. Le fanzine est une publication indépendante, souvent
bricolée, qui rassemble des amateurs passionnés autour d'un sujet
de prédilection. J’aime l’espace de liberté qu'il invoque,
l'esprit « Do It Yourself » et la possibilité de faire
cohabiter texte et image sur un même support. J'avais envie d'un
objet ludique, accessible, au prix et au format de poche, qui
passerait de main en main, comme un virus, un grigri, et qu'on
prendrait plaisir à feuilleter pour ce qu'il est. L'ajout de la
consonne m dans le mot, révélant le mot créole fanm
a confirmé mon intuition, puisqu'il s'agissait de mettre en lumière
les travaux de femmes-artistes en suggérant une sororité artistique
où se répondraient différentes formes d’expressions dans un même
ouvrage. Un objet féminin, certes, mais déconstruit, mobile,
facétieux... mutant !
Pourquoi
ne publier que des autrices?
Ce choix s'est imposé
comme une évidence, du fait des interactions évoquées précédemment.
Aussi, parce que le sujet de la féminité est central dans la
plupart de mes textes. Par ailleurs, l'émergence de podcasts, médias
ou écrits autour du féminisme a révélé ces dernières années de
nouveaux espaces d'expression. Il m'a semblé que ces espaces
manquaient à La Réunion, où l'exposition littéraire — bien
qu'en nette évolution — restait jusqu'alors réduite et
réservée aux mêmes « acteurs littéraires », souvent
masculins. J'ai voulu créer un objet conçu comme un lieu où les
femmes se sentiraient libres de faire entendre leur voix, de la
manière dont elles le souhaiteraient, sous la forme de leur choix.
J'ai envisagé un
objet-livre qui s'inscrirait dans cet élan collectif, et se
positionnerait en tant que témoin de la mutation du féminisme
contemporain. Une mue qui s'est, de fait, imposée comme thème du
premier numéro de Fan(m)zine : Filles à la peau de serpent.
Une publication singulière, qui offrirait un espace mixte de
création et de réflexion.
Qui sont les
contributrices de ce premier numéro ?
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Papillon de nuit de Natacha Eloy |
Elles sont douze autrices et/ou illustratrices (dont un binôme), de La Réunion et de métropole.
Les contributrices réunionnaises sont pour la plupart bien connues
du milieu littéraire et artistique de l'île puisque toutes ont
publié romans, nouvelles, théâtre, poésie ou illustrations chez
des éditeurs locaux ou nationaux. Elles m'ont fait l'amitié de
répondre à ma proposition avec enthousiasme et générosité, en
respectant les consignes du thème et les délais d’écriture. Leur
implication m'a confirmé que la création d'un Fan(m)zine à La
Réunion était bienvenue voire nécessaire.
Pourquoi n’as-tu pas
participé en tant qu’autrice, mis à part l’édito ?
En fait, si, j’ai
participé, sous nom d’alias (Alya S.), ce qui n’était pas prévu
au départ. Autant l’édito a été
composé en amont de la réception des contributions, autant ce texte
s’est imposé au moment du montage de la maquette, dans un souci
d’équilibre, comme dans un tout, un point d’orgue, au travers
duquel les voix résonneraient ensemble. De ce point de vue, il m’a
semblé que ce texte aurait pu être écrit à plusieurs mains,
jusqu’à former une identité virtuelle, qui n’exclurait pas
l’intelligence artificielle, raison pour laquelle il est doté
d’une identité propre, bien qu’imprécise. Le fanzine permet
toutes sortes de surprises et d’excentricités. J’ai pensé au
travail de Sophie Calle qui a fait de sa vie intime une œuvre, à
Alfred Hitchcock et ses caméos dans ses films, une façon ludique de
mettre son grain de sel dans une œuvre collective sans tirer la
couverture à soi…
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La petite fille aux allumettes de Nicole Legrand
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Pourquoi avoir ajouté
des extraits de textes d’autrices renommées et connues pour leur engagement féministe ?
Pour le clin d'œil. Sans
verser dans la pédagogie ou le militantisme à tout crin, j'aimais
l'idée de partager mes réflexions de lectrice autour de la question
féministe en recontextualisant les écrits emblématiques d'autrices
pionnières comme Virginie Despentes, (King Kong Théorie),
Chloé Delaume (Mes bien chères sœurs) ou Valérie Solanas,
considérée comme la mère fondatrice du féminisme radical, dont le
Scum Manifesto a été réédité en 2021 (et préfacé par
l'essayiste Lauren Bastide). Ces autrices ont fait bouger les lignes
en ouvrant la voie aux jeunes générations. Elles ont œuvré à la
mue féministe et il me semblait important de le rappeler. Par
ailleurs, j'aimais l'idée que ces extraits s'intègrent au recueil
en faisant écho aux autres textes, avec leur langue, leur musicalité
propre, identifiable. Ainsi, chaque contributrice de Fan(m)zine
serait appréhendée de la même manière par le lecteur,
bénéficierait de la même visibilité que ses consœurs d'écriture.
Peux-tu nous dire quelques mots de l'œuvre de Natacha Eloy en couverture ?
Il déchire ! Natacha Eloy, autrice et dessinatrice réunionnaise issue à
la fois des arts visuels et du collectif BD Le Cri du Margouillat, est un peu la marraine de ce premier numéro. Hormis la
couverture, deux autres de ses contributions (texte et illustrations)
sont au sommaire. Qui dit fanzine, dit aussi identité visuelle
forte. Natacha a su restituer l'état d'esprit que je voulais
insuffler à la couverture : des couleurs vives, de l'impertinence,
une pointe de sophistication, de la drôlerie saupoudrée de
mysticisme. Tout y est, et ce portrait de « fille à la peau de
serpent » est simplement magnétique.
À quelle fréquence
sera publié Fan(m)zine ?
J'envisage une
publication annuelle. Comme je m'occupe seule du travail éditorial,
six mois sont nécessaires pour la sélection des contributions et
six mois supplémentaires pour les corrections, la réécriture et la
finalisation de In maquette.
Quel sera le thème du
second numéro ? Comment seront sélectionnés les textes ?
Le prochain thème sera
annoncé sur la page Facebook de Fan(m)zine par le biais d'un
appel à contributions (textes, illustrations en noir et blanc). J’en préciserai les
délais ainsi que toutes les modalités.
Où
est diffusée la revue ?
Pour le moment,
exclusivement à La Réunion. Pour la suite, on verra bien ce que
l’avenir (lui) réserve !