vendredi 17 mai 2024

Sur les routes du passé

Quel plaisir de s'embarquer à nouveau dans les errances, tribulations et réflexions des personnages de Pierre-Louis Rivière ! On entre dans son texte, tout en délicatesse et poésie, avec une grande délectation.
Pour ceux et celles qui ne connaissent pas l'île de La Réunion, où se situe une grande partie du roman, Ligne Paradis est un quartier rural de Saint-Pierre, en hauteur.
Les deux personnages principaux, Mad et Gabriel, qui se retrouvent après s'être perdus de vue depuis des années et se promènent régulièrement en voiture sur les routes tortueuses des Hauts de l'île.
Les noms des personnages valent qu'on s'y attarde un peu. Mad est le diminutif de Marie-Madeleine, personnage biblique, et veut aussi dire fou ou folle en anglais. Elle est d'ailleurs un rien fofolle, expansive et pleine de vie. Son nom est Técher — on entend T'es chair — et elle multiplie les aventures et les partenaires.
Les hommes, qui semblent plus éthérés, mystérieux et introvertis, portent des noms d'anges : Gabriel et Angi.
Au fil de ces longues virées, Mad se livre et se délivre peu à peu. L'habitacle du véhicule est le réceptacle idéal pour les confidences, alors que le paysage défile et que les deux protagonistes n'ont pas à affronter leurs regards en face à face. Elle cache des secrets et veut changer d'identité.
On ne sait presque rien du narrateur, mais lui aussi cache une vie secrète.
Un roman plein de tiroirs secrets, dont certains s'ouvrent et d'autres éveillent notre imagination. 

À rouler ainsi des heures durant le long des routes qui sinuent à travers le relief chaotique de l'île, il me semble que nous parcourons les milliers de vaisseaux sanguins qui irriguent un monstrueux cerveau de basalte. Nous sommes les particules infimes qui nous déplaçons le long des courbes infinies qui composent les circonvolutions du cerveau d'un géant assoupi. Mais peu à peu, nous devinons que les accidents du terrain se mêlent insensiblement aux méandres de notre propre cerveau. Nous venons à la rencontre de zones délaissées, à moitié effacées par le temps, nous frôlons des à-pic, nous nous tenons au bord de gouffres insondables, noyés de brume, nous longeons des ravines bouillonnantes.

Orphie, 2023, 240 pages.

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