mardi 29 juillet 2025

Trash et subtil

Notre ami Serge Scotto, écrivain overpunk, dont les romans noirs sont des pépites (Au Temps pour moi, Gagnant à vie, Le Crapaud qui fume, une excellente nouvelle dans le recueil Marseille Noir, etc.) a également des talents de scénariste et dessinateur de bandes dessinées (Ingrid de la jungle, une série sur Pagnol et autres BD historiques et sérieuses). Mais je ne vais pas vous énumérer son impressionnante bibliographie : une petite recherche sur internet vous en donnera un aperçu. 
Une de ses dernières créations est la série de bandes dessinées Renar et Blérô, un pur produit overpunk qui allie à merveille les blagues potaches et les jeux de mots (plus ou moins) subtils. 
Ce sont les aventures d'un renard et d'un blaireau qui philosophent dans la forêt et, au passage, se moquent gentiment des autres. Ce serait une version des fables de La Fontaine, sans aucune morale mais tout aussi caustique.
Franchement, parfois, il faut oser... et c'est ce qui est drôle. 
Rien n'arrête cet auteur — à la fois énervé, amusé et amuseur — à la gouaille inénarrable, qui vous transforme n'importe quelle anecdote en aventure rocambolesque. À l'oral comme à l'écrit, il fait feu de tout bois et souvent de presque rien. 
Cela donne un cocktail plus qu'étonnant, entre Molotov et Bloody Mary, explosif et gouleyant, lourdaud et frais, régressif et inventif. 
Bref, une lecture politiquement incorrecte qui fait du bien !

Prestance, 2024, 64 pages. 

samedi 12 juillet 2025

Poèmes de l'invisible

Notes fantômes de Sylvain Jamet est un recueil de 58 poèmes, classés en quatre parties : Portrait d'un homme en pièces, Choses rêvées, Choses vues, Enfances
Ces notes évoquent forcément les Notes de chevet de Sei Shônagon.
Composées d'une ou deux phrases pour la plupart, elles saisissent des instants ou des sensations fugaces, presque imperceptibles. 
Si ces notes sont fantômes, c'est peut-être parce qu'elles révèlent une part d'inconscient, de rêve, d'imaginaire, d'étrange, dans une réalité décalée, hallucinée. 
Magie de la poésie.

Note sur le vent
Il dormait la moitié de la nuit, passait le reste à écouter les rafales de l'autre côté du mur. Le vent formait une structure dont il n'avait pas la clé, mais dont il pouvait sentir les angles saillants et les parois mobiles lorsqu'il fermait les yeux. 

Note sur la fin du monde
Quand il rentra et trouva sa maison dévastée, quelques minutes avant la fin du monde, il n'appela pas la police, mais s'assit au milieu du salon et attendit que la nuit vienne. Mais la nuit ne vint pas. On avait dérobé davantage qu'il n'aurait su le dire. 

Éditions Louise Bottu, 2025, 78 pages. 

Poèmes chinois connus par cœur

Guilhem Fabre, sinologue et poète, a rassemblé et traduit dans l'anthologie Instants éternels. Cent et quelques poèmes connus par cœur en Chine, des poèmes classiques que les Chinois connaissent encore par cœur. 
Appris à l'école, ces vers font partie de la mémoire collective et sont couramment cités lorsqu'ils tombent à propos lors d'une situation quotidienne. 
Le livre est magnifiquement mis en page. Chaque poème traduit du chinois a sa version originale en idéogrammes, mais surtout il est accompagné d'une biographie de l'auteur et d'éléments de contexte, pour une meilleure compréhension de la culture chinoise. Cependant, la plupart des poèmes sont d'une clarté universelle, alors qu'ils ont été écrits il y a des siècles, et pourraient se passer de commentaires (voir ci-dessous). 

La couverture et les pages intérieures sont des œuvres contemporaines fascinantes de la série Artifical Wonderland de Yang Yongliang. De loin ou au premier coup d’œil, on croit voir des peintures anciennes de la période Song. En les observant de plus près, on découvre des paysages urbains et industriels : les montagnes sont couvertes de forêts de gratte-ciels, de chantiers et d'usines. Cela se passe également de commentaires sur une civilisation qui évolue aussi vers le pire.

Mais voici trois poèmes, choisis presque au hasard, pour oublier la folie du monde.

L'impromptu du retour au pays 
Mon pays quitté jeune j'y reviens en vieillard 
J'ai conservé l'accent seules mes tempes sont blanches 
Les enfants me regardent comme un inconnu 
Et riant me demandent de quel pays je viens 
(He Zhizhang 659-744)

Pensées d'amour 
Les pois d'amour naissent dans le Midi 
Printemps venu leurs rameaux refoisonnent 
J'aimerais que vous en cueilliez beaucoup 
Pour que vivent nos pensées croisées 
(Wang Wei 700-761)

Pitié pour les paysans 
Sarcler les pousses en plein midi 
Quand sa sueur ruisselle jusqu'en terre 
Qui sait dans son assiette en prenant son repas 
La peine qu'il y a en chaque grain de riz 
(Li Shen 772-846)

Érès, collection Po&sy a parte, 2025, 422 pages. 

mercredi 9 juillet 2025

Thriller littéraire, de livre en livre

Dans la boîte à livres d'Éric Dautriat est un thriller littéraire : sa lecture tient en haleine et l'histoire tourne autour des livres, neufs et d'occasion, en passant par les libraires, les bouquinistes et les boîtes à livres. 
C'est une ode à la lecture, à la littérature et à la poésie, dont Giono et Rimbaud. 
Le roman se passe autour du Ventoux et notamment dans la vallée du Toulourenc, mais aussi en Guyane via les flash-back de Jacques, le personnage principal. En effet, ce dernier se sent menacé par un inconnu qui le traque et qui semble connaître son passé trouble.
Ce thriller est aussi un conte fantastique grâce à un chat doué de parole (à la manière de Jiminy Cricket), plein de malice et de sens de la repartie. Il défend, comme de bien entendu, la condition animale, mais aussi la condition des femmes.
L’histoire est pleine des rebondissements, jusqu'à la fin, avec une belle trouvaille de boucle et de mise en abîme parfaite. 
On peut voir aussi dans ce roman un ressort psychanalytique sur la nécessité de se pencher sur ses zones d'ombre, si on ne veut pas les voir ressurgir. Ici, la fiction vient réveiller le passé et hanter la "réalité" du présent. 
Un roman brillant, réjouissant, plein d'humour et de poésie.

Éditions Esprit des Lieux, 2025, 224 pages.

Lire aussi ma chronique sur Le Brisement de la mer du même auteur.

vendredi 4 juillet 2025

Plumes et coquilles

Élodie Llorca joue sur les mots, avec délice et férocité, dans La Correction
Son personnage François est correcteur dans une revue. Plutôt introverti, il est hanté par la mort de sa mère dont il ne se remet pas. Il fantasme sur sa patronne qui le fascine. Son collègue exubérant, qui est tout son contraire, l'appelle le Recteur et ne lui pardonne pas ses corrections. Jusque là, tout est à peu près normal. 
Mais l'autrice, de sa belle plume inventive, insuffle une tension et une poésie dans cette histoire, presque banale, écrite à la première personne du singulier ; car, en effet, notre François est singulier. 
Quelqu'un lui voudrait du mal en sabotant son travail, pourtant méticuleux et obsessionnel. Tout en faisant la chasse aux coquilles, il fuit la réalité et se réfugie dans sa coquille. Ce drôle d'oiseau se fabrique des pensées tourmentées, entre fantasmes, hallucinations et réminiscences du passé. 
Sa femme, avec qui il est franchement distant, lui tend des perches pour ouvrir le dialogue, ce qu'il refuse obstinément, même par écrit. 
Il recueille un oiseau moribond et se comporte bizarrement avec lui. En effet, il est beaucoup question de volatiles et de subtils décalages dans le vocabulaire (coquille, plume...), à une lettre près (mort/mot ; cage/page ; calotte/culotte), ce qui crée des coquilles, des lapsus écrits et de magnifiques perles.

Rivages poche, 2025, 208 pages.