samedi 12 juillet 2025

Poèmes de l'invisible

Notes fantômes de Sylvain Jamet est un recueil de 58 poèmes, classés en quatre parties : Portrait d'un homme en pièces, Choses rêvées, Choses vues, Enfances
Ces notes évoquent forcément les Notes de chevet de Sei Shônagon.
Composées d'une ou deux phrases pour la plupart, elles saisissent des instants ou des sensations fugaces, presque imperceptibles. 
Si ces notes sont fantômes, c'est peut-être parce qu'elles révèlent une part d'inconscient, de rêve, d'imaginaire, d'étrange, dans une réalité décalée, hallucinée. 
Magie de la poésie.

Note sur le vent
Il dormait la moitié de la nuit, passait le reste à écouter les rafales de l'autre côté du mur. Le vent formait une structure dont il n'avait pas la clé, mais dont il pouvait sentir les angles saillants et les parois mobiles lorsqu'il fermait les yeux. 

Note sur la fin du monde
Quand il rentra et trouva sa maison dévastée, quelques minutes avant la fin du monde, il n'appela pas la police, mais s'assit au milieu du salon et attendit que la nuit vienne. Mais la nuit ne vint pas. On avait dérobé davantage qu'il n'aurait su le dire. 

Éditions Louise Bottu, 2025, 78 pages. 

Poèmes chinois connus par cœur

Guilhem Fabre, sinologue et poète, a rassemblé et traduit dans l'anthologie Instants éternels. Cent et quelques poèmes connus par cœur en Chine, des poèmes classiques que les Chinois connaissent encore par cœur. 
Appris à l'école, ces vers font partie de la mémoire collective et sont couramment cités lorsqu'ils tombent à propos lors d'une situation quotidienne. 
Le livre est magnifiquement mis en page. Chaque poème traduit du chinois a sa version originale en idéogrammes, mais surtout il est accompagné d'une biographie de l'auteur et d'éléments de contexte, pour une meilleure compréhension de la culture chinoise. Cependant, la plupart des poèmes sont d'une clarté universelle, alors qu'ils ont été écrits il y a des siècles, et pourraient se passer de commentaires (voir ci-dessous). 

La couverture et les pages intérieures sont des œuvres contemporaines fascinantes de la série Artifical Wonderland de Yang Yongliang. De loin ou au premier coup d’œil, on croit voir des peintures anciennes de la période Song. En les observant de plus près, on découvre des paysages urbains et industriels : les montagnes sont couvertes de forêts de gratte-ciels, de chantiers et d'usines. Cela se passe également de commentaires sur une civilisation qui évolue aussi vers le pire.

Mais voici trois poèmes, choisis presque au hasard, pour oublier la folie du monde.

L'impromptu du retour au pays 
Mon pays quitté jeune j'y reviens en vieillard 
J'ai conservé l'accent seules mes tempes sont blanches 
Les enfants me regardent comme un inconnu 
Et riant me demandent de quel pays je viens 
(He Zhizhang 659-744)

Pensées d'amour 
Les pois d'amour naissent dans le Midi 
Printemps venu leurs rameaux refoisonnent 
J'aimerais que vous en cueilliez beaucoup 
Pour que vivent nos pensées croisées 
(Wang Wei 700-761)

Pitié pour les paysans 
Sarcler les pousses en plein midi 
Quand sa sueur ruisselle jusqu'en terre 
Qui sait dans son assiette en prenant son repas 
La peine qu'il y a en chaque grain de riz 
(Li Shen 772-846)

Érès, collection Po&sy a parte, 2025, 422 pages. 

mercredi 9 juillet 2025

Thriller littéraire, de livre en livre

Dans la boîte à livres d'Éric Dautriat est un thriller littéraire : sa lecture tient en haleine et l'histoire tourne autour des livres, neufs et d'occasion, en passant par les libraires, les bouquinistes et les boîtes à livres. 
C'est une ode à la lecture, à la littérature et à la poésie, dont Giono et Rimbaud. 
Le roman se passe autour du Ventoux et notamment dans la vallée du Toulourenc, mais aussi en Guyane via les flash-back de Jacques, le personnage principal. En effet, ce dernier se sent menacé par un inconnu qui le traque et qui semble connaître son passé trouble.
Ce thriller est aussi un conte fantastique grâce à un chat doué de parole (à la manière de Jiminy Cricket), plein de malice et de sens de la repartie. Il défend, comme de bien entendu, la condition animale, mais aussi la condition des femmes.
L’histoire est pleine des rebondissements, jusqu'à la fin, avec une belle trouvaille de boucle et de mise en abîme parfaite. 
On peut voir aussi dans ce roman un ressort psychanalytique sur la nécessité de se pencher sur ses zones d'ombre, si on ne veut pas les voir ressurgir. Ici, la fiction vient réveiller le passé et hanter la "réalité" du présent. 
Un roman brillant, réjouissant, plein d'humour et de poésie.

Éditions Esprit des Lieux, 2025, 224 pages.

Lire aussi ma chronique sur Le Brisement de la mer du même auteur.

vendredi 4 juillet 2025

Plumes et coquilles

Élodie Llorca joue sur les mots, avec délice et férocité, dans La Correction
Son personnage François est correcteur dans une revue. Plutôt introverti, il est hanté par la mort de sa mère dont il ne se remet pas. Il fantasme sur sa patronne qui le fascine. Son collègue exubérant, qui est tout son contraire, l'appelle le Recteur et ne lui pardonne pas ses corrections. Jusque là, tout est à peu près normal. 
Mais l'autrice, de sa belle plume inventive, insuffle une tension et une poésie dans cette histoire, presque banale, écrite à la première personne du singulier ; car, en effet, notre François est singulier. 
Quelqu'un lui voudrait du mal en sabotant son travail, pourtant méticuleux et obsessionnel. Tout en faisant la chasse aux coquilles, il fuit la réalité et se réfugie dans sa coquille. Ce drôle d'oiseau se fabrique des pensées tourmentées, entre fantasmes, hallucinations et réminiscences du passé. 
Sa femme, avec qui il est franchement distant, lui tend des perches pour ouvrir le dialogue, ce qu'il refuse obstinément, même par écrit. 
Il recueille un oiseau moribond et se comporte bizarrement avec lui. En effet, il est beaucoup question de volatiles et de subtils décalages dans le vocabulaire (coquille, plume...), à une lettre près (mort/mot ; cage/page ; calotte/culotte), ce qui crée des coquilles, des lapsus écrits et de magnifiques perles.

Rivages poche, 2025, 208 pages. 

mercredi 25 juin 2025

Darwin intime

C'est la biographie en bande dessinée la plus désopilante, incroyable mais vraie : Dans les pantoufles de Darwin (je vous laisse apprécier le titre), de Camille Van Belle et Adrien Miqueu
Les auteurs sont scientifiques (donc très sérieux) et se sont basés notamment sur l'immense correspondance de Charles Darwin, soit 15 000 lettres éditées en 30 volumes. Et visiblement, ils se sont beaucoup amusés de découvrir le personnage tel qu'on ne l'imagine pas.
Cela donne un portrait en creux, intime, du chercheur, également vu par son entourage, sa famille, ses amis... un sacré caractère, mais aussi drôle et attachant. 
On y apprend notamment qu'il a élevé des pigeons pour les étudier, puis s'est passionné pour les orchidées. Il s'est aussi beaucoup intéressé à ses enfants, d'abord pour ses expériences scientifiques, puis s'est il extasié sur leurs comportements (dixit sa femme). 
Il avait aussi de nombreux amis (et on les comprend) qui l'ont beaucoup soutenu.
Un régal !

Éditions Alixio, 2024, 200 pages.


mardi 24 juin 2025

Apprendre de ses erreurs

C'est bien connu : les erreurs font partie de l'apprentissage, voire l'accélèrent. Lorsqu'on "paye" une erreur, on ne la refait pas. Dans le milieu professionnel, c'est monnaie courante. 
Et c'est bien ce droit à l'erreur que revendique Cécile Gevrey-Guinnebault dans son essai-récit : Chères erreurs : 40 chroniques pour transformer les boulettes en pépites
L'autrice est coach
et s'inspire de la démarche de Palo Alto. Au lieu de camoufler ses bévues et ratages, elle nous les raconte avec beaucoup de verve et d'humour. 
Elle a pris soin de transposer ses expériences et de modifier les noms des personnes pour que personne ne puisse se reconnaître, et respecter ainsi la confidentialité des missions qu'on lui a confiées. 
Ses erreurs sont classées en différentes catégories : commerciales, marketing,  contractuelles, politiques, stratégiques, éthiques, relationnelles, émotionnelles, etc. 
Son livre s'adresse à tous ceux qui travaillent en entreprise ou à leur compte, et notamment dans les domaines du management, des ressources humaines, du conseil et du coaching. 
On la lit avec grand plaisir, parce que c'est drôle, instructif et surtout cela décomplexe : oui, faire des erreurs arrive à tout le monde. 

Enrick B. Éditions, 2025, 218 pages.

Bien vieillir

Le scandale du groupe Orpéa (qui a changé de nom depuis, pour tenter d'améliorer son image), révélé par Victor Castanet dans son livre Les Fossoyeurs, a fait prendre conscience de la façon dont nos personnes âgées étaient traitées, et surtout des travers de la financiarisation des maisons de retraite. Certes, il y a un net progrès depuis les dortoirs collectifs des auspices du début du siècle dernier, mais ce n'est pas encore l'idéal. 
Les trois auteurs de Bonjour Vieillesse, dont le sous-titre est Quand le bien vieillir devient un projet de société, sont Guillaume Desnoës, Thibault de Saint Blancard et Clément Saint Olive.  
Ils sont aussi les trois cofondateurs d'Alenvi, une entreprise qui propose un service d’accompagnement des personnes âgées à domicile. Ils nous invitent à réfléchir aux différentes manières de mieux nous occuper de nos aïeux, et donc de réfléchir à notre propre futur... 
Ils citent en exemple des initiatives heureuses où les personnes âgées se sentent plus utiles et où les personnes qui s'occupent d'elles sont davantage considérées. 
Il s'agit notamment de se demander ce que cela apporte aux unes et aux autres, et moins de ce que cela coûte. 
Et, surtout, ils proposent de réfléchir et participer à un Manifeste du bien vieillir. Vaste et beau programme !

Éditions de l'Aube, 2025, 120 pages.