lundi 24 septembre 2018

L'art pour l'art

De toutes pièces de Cécile Portier est le journal tenu par un curateur qui a carte blanche pour acheter des œuvres et créer un cabinet de curiosités pour un commanditaire mystérieux — ce qui crée un suspens qui nous tient jusqu'à la fin : pour qui, pour quoi ?
De plus, l'atmosphère étrange des cabinets de curiosités imprègne le roman — un véritable cabinet de curiosités en soi — et mêle le merveilleux, le monstrueux, le fabuleux, le cauchemardesque, le rare, le délirant, le fascinant...  qui évoquent tour à tour les métamorphoses de Kafka, un inventaire à la Prévert ou les mythologies de Barthes.
De même, l'humeur du narrateur passe de l'angoisse à la drôlerie, du sérieux à la plus grande désinvolture, de l'enthousiasme à la désillusion.
La forme du journal permet de sauter allègrement du coq à l'âne, comme une visite de musée en apparence suranné mais plein de secrets, de surprises et de drôlerie, qui me rappelle celui de la chasse et de la nature avec ses meubles à tiroirs, ses bestiaux empaillés, ses œuvres anciennes et rococo jouxtant des créations contemporaines.
12 janvier  
Me suis fait livrer mon troisième colis. Des instruments d'optique, d'optimisme, pour grossir tout à l'échelle du spectaculaire. Voir près ce qui est loin, voir plus gros ce qui est petit, corriger en lorgnon ce qui se déforme. Télescopes, loupes, lentilles. Tout un lot de concentration.
Ce journal est bien sûr une invention littéraire montée de toutes pièces, truffée de trouvailles et de merveilles, de créatures légendaires et imaginaires ainsi qu'un chat, où tout se mêle et tient prodigieusement ensemble : entre préciosité et banalité, imagination et réalisme. Car dans cette collection en devenir, nous sommes encore à l'étape non moins énigmatique de la mise en œuvre et de l'envers du décor, entre bureaux, vigiles et hangar de stockage.
En effet, l'art et la poésie transportent le lecteur puis le ramènent brutalement à la réalité de mornes paysages alignant magasins Ikea, plateformes d'Amazon, PMU, hôtels Ibis...
Et surtout, De toutes pièces nous l'interroge sur bien des points comme la valeur de l'art, l'intérêt d'une collection, l'objectif d'un collectionneur, l'importance du discours qui l'accompagne ou le fameux regardeur qui fait l'œuvre...
Une lecture extraordinaire, foisonnante, intrigante et fascinante, où finalement chacun pourrait y lire son propre livre.

Quidam éditeur, 2018, 170 pages.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire