samedi 31 août 2024

Une véritable épopée

Avec 70 gravures d'Hélène Bautista
Sur l'épaule des géants de Laurine Roux est l'histoire d'une famille originale sur plusieurs générations, une véritable épopée, pleine de rebondissements, qui rencontre la grande histoire : où l’on croise Pasteur, Picasso ou Albert Prince...
C'est un peu le mariage de la science et de la poésie, un récit plein d’esprit et de fantaisie, de détails truculents, d'humour, de jeux de mots.
Il y a des drames, mais malgré tout une atmosphère joyeuse et lumineuse, et beaucoup d’émotions (on s’évanouit souvent en fin de chapitre).
Les thèmes foisonnent : les animaux et la nature, la nourriture, le vin... On mange, on boit, on philosophe.

Les femmes sont fortes et portent toutes des noms de fleurs, comme Églantine, Marguerite, Violette, Rose, Camélia...
Les chats sont malins, doués de paroles, et portent des noms de philosophes.
L'histoire est écrite sous forme de courts chapitres, façon feuilleton, ce qui a donné l'idée aux éditeurs de l'illustrer de 70 magnifiques gravures d'Hélène Bautista (qui rappellent le style de Félix Vallotton), et qui en fait un superbe objet.

C'est particulièrement réjouissant, brillant et plein d'humour.

Le Sonneur, 2022, 384 pages.

jeudi 22 août 2024

Alors ? C'est très bien !

Clémentine Mélois, artiste et autrice Oulipienne bien connue pour ses pastiches de couvertures de livres, Cent titres, rend dans ce récit, Alors c'est bien, un hommage original à son père, le sculpteur Bernard Mélois.
Original, parce que son père était un sculpteur très original. L'hommage est donc à son image : plein d'humour pince-sans-rire, fantaisiste, touchant, hors du commun.
Entre souvenirs et bons mots, il s'agit aussi du récit de l'enterrement lui-même atypique, spectaculaire, festif.
Il aurait apprécié.

— Je suis fier de toi, ma petite chérie. Je suis fier de ce que tu es et de ce que tu fais.
— Ooh... Moi aussi, je suis fière de toi, Papa.
— Tu me poursuis, tu voles de tes propres ailes en mon nom.
— Olala, Pap, tu sais bien que je n'aime pas quand tu es solennel !
— Oh mais laisse-moi donc être fier ! Tu serais en taule, on la ramènerait moins !

L'exercice de l'hommage est périlleux. Clémentine le réussit brillamment. Alors ? C'est très très bien.

Gallimard, collection L'arbalète, 2024, 208 pages.

mercredi 21 août 2024

Poésie noire et rocambolesque

Le premier roman de Cyril Anton, Le nain de Whitechapel, se situe à la fin du XIXe siècle, à la même époque où ce quartier londonien, pauvre et insalubre, a connu le tueur en série Jack l'Éventreur.
Dans ce roman, c'est un gang nommé Tabula Rasa qui perpétue les crimes.
Un nain, issu d'une famille riche et abandonné à cause de son apparence, part sur les traces de ces criminels dans ce quartier peuplé de laissés pour compte et cabossés de la vie, pas nés comme il faut, qu'il tentera de protéger.
L'histoire sombre et inquiétante, d'une imagination foisonnante, se place dans la lignée des films Freaks, Delicatessen, Elephant Man, ou dans l'univers de Tim Burton.  
Ce roman noir est un conte gothique complètement fou, aux multiples rebondissements, plus macabres et fantastiques les uns que les autres, dans une atmosphère de cabinet de curiosités. 

Le Sonneur, 2024, 192 pages.

lundi 19 août 2024

Faut-il défendre la nouvelle ?

Le dossier du dernier numéro de la revue Décapage porte sur la nouvelle, grâce à 21 écrivains qui la défendent.
Oui, il semblerait qu'il n'y ait qu'en France qu'il soit nécessaire de défendre la nouvelle, ce genre qui n'a pas la cote parce qu'il ne fait pas recette.
Mais pourquoi ce désamour ? Certains, comme Belinda Cannone, avancent que la nouvelle a mauvaise presse. Les journalistes et critiques littéraires auraient du mal à résumer un recueil quand les textes passent du coq à l'âne. Donc pas d'articles = pas de ventes.
Ce n'est sûrement pas la seule raison, mais j'ai toujours eu du mal à obtenir des arguments précis et surtout valables (en fait, il n'y en a pas).
Donc les éditeurs rechignent à en publier et, s'ils le font, évitent parfois de le préciser sur la couverture. On préfère annoncer des "fictions courtes", ce qui est, somme toute, une bonne définition.
Sa brièveté permet de la lire en une seule fois. Alors qu'on manque de temps pour lire de vrais livres, la nouvelle devrait être à la mode.
Si on peut la lire vite, il est déconseillé de les enchaîner. Il faut les laisser décanter, voire les reprendre au début pour mieux saisir leur profondeur.
La nouvelle laisse des portes ouvertes au lecteur pour l'inviter à la réflexion (et participer à la création, de même que le regardeur fait le tableau).
Et lire une nouvelle, c'est déjà lire de la littérature. Si c'est bon, c'est bon, que le texte soit court ou long.
Donc oui, il faut arrêter de discriminer les histoires courtes et il faut les défendre.
Lisez ce numéro de Décapage et vous comprendrez.

Revue Décapage, Flammarion, n° 69, printemps-été 2024.

mardi 13 août 2024

24 heures sur 24

H24, 24 heures dans la vie d'une femme est un recueil de 24 nouvelles courtes, écrites par 24 écrivaines du monde entier (Europe, Afrique, Amérique...), pour rendre compte de la vie des femmes dans des situations quotidiennes, plus ou moins violentes et toujours choquantes.
Ces nouvelles, écrites à la première personne, sont inspirées de faits réels, de l'incident (presque) banal au drame, quand les femmes sont harcelées, insultées, rabaissées, reléguées à des corps, battues, violées, assassinées, souvent dans le cadre familial.
Ces femmes sont nos sœurs, nos mères, nos amies, nos voisines... leurs portraits sont sensibles, parfois drôles, toujours percutants.
Parmi toutes ces belles plumes, on retrouve Lydie Salvayre, Siri Hustvedt, Lola Lafon, Agnès Desarthe, Anne Pauly, Christiane Taubira, Chloé Delaume, Alice Zeniter...
Ces histoires ont aussi inspiré à des réalisatrices des épisodes de la série H24 diffusée sur Arte (voir ici), avec de grandes comédiennes, comme Diane Kruger, Noémie Merlant, Valéria Bruni-Tedeschi, Romane Bohringer...
Des textes brefs qui racontent, de l'intérieur, la colère, la honte, de toutes les femmes du monde, à n'importe quel moment du jour et de la nuit.

Actes Sud et Arte éditions, 2021, 192 pages.

samedi 10 août 2024

Les couleurs du cœur

Gueule Demi de Benoît Reiss est un conte poétique où il est question d'enfants abandonnés et recueillis, de peintres et de peinture, de nature...
Il y a de la magie dans l'air, de la beauté, de la lumière, des couleurs — comme le bleu de la mer —, et beaucoup de mystères...
Les personnages n'ont pas de prénoms mais des surnoms : L'Envolée, Bleu, Gueule Demi...
Les chapitres semblent se succéder dans le désordre, comme un puzzle en construction qui se révèle peu à peu.
À la suite d'un accident, un homme devient monstrueux et rejeté, mais une jeune fille devinera ses talents cachés...
C'est un livre qui ne se raconte pas, mais qui se déguste, phrase après phrase.

Éditions Fugue, 2023, 176 pages.

mardi 6 août 2024

Cheminer vers Nancy

La collection "Je chemine avec..." est une série d'entretiens menés par Sophie Lhuillier avec des personnalités de différentes disciplines. Pour la littérature, c'est Nancy Huston.
Elle nous raconte son histoire, son enfance, et comment elle a fait de ses souffrances et traumatismes des "cadeaux en mal" de la vie.
C'est ainsi que nous cheminons avec elle dans son passé et son présent, ses rencontres, les tournants et les tourments de sa vie, ce qui a fait qu'elle est devenue écrivaine et ce qui l'anime ou la mine. Et bien sûr, le féminisme et son engagement politique.
Elle parle bien sûr d'écriture, de sa façon de travailler, et comment elle a écrit ses livres, romans ou essais, dont L'espèce fabulatrice qui est celui dont elle est le plus fière.
Sophie Lhuillier l'interroge aussi sur ses lectures et les écrivains qui la touchent, sur ce qui fait un bon roman.
Si les livres des écrivains qui parlent de leur métier sont souvent inspirants, celui-ci l'est tout particulièrement : mon exemplaire est annoté, marqué, souligné au fil des pages. J'y reviendrai certainement.

Seuil, 2021, 176 pages.

Lire aussi les autres chroniques sur Nancy Huston :
- L'espèce fabulatrice ;
- Démons quotidiens ;
- Prodige ;
- Reflets dans un œil d'homme ;
- Bad girl. Classes de littérature.