vendredi 7 novembre 2025

Le jardin punk raconté aux enfants

Éric Lenoir est ce paysagiste qui déconstruit les croyances sur le jardin et le paysagisme, et en invente d'autres. 
Après ses excellents Petit traité du jardin punk et Grand traité du jardin punk édités chez Terre Vivante, voici son Manuel magique de mon jardin pour les enfants (et les grands qui n'ont pas fini de s'émerveiller), un beau livre illustré.
Il y raconte les histoires extraordinaires de son jardin : un terrain de jeux et d'exploration. 
C'est à la fois didactique, ludique, poétique, pratique (avec des ateliers, des astuces et des recettes à réaliser), et magique avec des dizaines d'histoires de fées, de monstres et d'animaux étranges, comme ces drôles de gougnafs, qui abiment la base des troncs, ou les guigenoulis qui émettent des ondes de bonheur dans l'eau (et oui : il faut lire les histoires pour comprendre et sourire). 

Des graines aux mousses et lichens, en passant par les écureuils et les chouettes, les trognes, les serpents timides, les moulins à eau et les fleurs d'artifice des lutins, c'est le livre pour s’émerveiller de la nature, même sur un balcon.
De l'histoire naturelle aux histoires surnaturelles. 

Payot, 2025, 144 pages. 

jeudi 6 novembre 2025

Cuisiner en quelques schémas

La cuisine sans blabla, spécial débutant regroupe une centaine de recettes basiques de cuisine ultra simples et décortiquées en images. 
Plus d'excuse pour ne pas cuisiner soi-même ou avec les enfants !
Plein d'idées d'entrées, soupes, plats, desserts... avec un index par ingrédients bien pratique pour savoir quoi faire avec ce qu'on a sous la main.
Inutile d'en écrire des tonnes : c'est un jeu d'enfant.

Larousse, 2025, 224 pages.

 


Bankable Banksy

Le revers du succès de Banksy est la monétisation de son œuvre qui entraîne tout l'aspect pourri de la spéculation : vols, intermédiaires qui s'enrichissent au détriment de l'artiste et achat pour des privés qui privent les autres de voir ses œuvres. 
Le fait de décrocher des pans de murs pour protéger les œuvres de leur destruction et les exposer dans des galeries ou musées, hors du contexte d'origine, est-il vraiment intéressant ? Faut-il faire le tour du monde pour voir ses œuvres encore in situ ? Bref, le débat est ouvert.
Le vœu de Banksy est de conserver ses œuvres là où il les a réalisées et a fondé Pest Control, notamment pour authentifier celles qui ont été volées et éviter les fraudes.
Mais le street art a peut-être vocation à être détruit ou volé : il est dans la rue, donc il appartiendrait à tout le monde et à personne. D'autres artistes, probablement jaloux, ne se gênent pas pour en recouvrir. 
L'avantage des livres est de nous donner à voir les œuvres d'art. 
C'est ce que propose Will Ellsworth-Jones dans Le monde perdu de Banksy : sur les traces des œuvres disparues. Il documente chaque photo d'une centaine d'œuvres de son contexte, son histoire ou de ses mystères.
C'est passionnant.

Pyramyd, 2025, 144 pages. 

Son site 

La légende du vrai Lucky Luke

Tiens, un nouveau Lucky Luke ! Dakota 1880
Autant dire que s'attaquer à cette BD légendaire ne doit pas être chose facile.
Voyons voir... En effet, ce que l'on voit en premier, ce sont les magnifiques dessins de Brüno, ciselés en gros plans (qui ont l'effet magique de faire jaillir le son !)(mais j'ai peut-être beaucoup d'imagination...) et les grands espaces enneigés ou accablés de chaleur. En tout cas, bravo : c'est beau.
L'autre plaisir de lecture vient des scénarios d'Appollo — puisqu’il s'agit en fait de sept histoires —, qui remontent aux origines du célèbre cow-boy, en hommage au premier album de Morris, qui s'intitulait Arizona 1880
Très belle idée aussi parce qu'on y apprend que le cow-boy à la grande mèche aurait réellement existé. C'est un certain Gustav Frankenbaum, spécialiste du western, qui le dit en citant un aventurier noir américain, nommé Baldwin Chenier, qui aurait écrit ses mémoires où il raconte, entre autres, sa rencontre avec le vrai Lucky Luke. 
Pure fiction ou vérité ? Toujours est-il que la mise en abîme est admirable. Et après tout, "Quand la légende dépasse la réalité, alors on publie la légende !
Et ce qui fait le grand intérêt de cet album, hormis de nombreux clins d’œil, c'est qu'il est très ancré dans les sujets actuels et qu'il offre de grands et beaux rôles aux minorités : femmes, jeunes ou âgées, Noirs et Autochtones.
Chapeau ! (de cow-boy)

Dargaud, Lucky Comics, 2025, 64 pages. 

Lisez aussi ce bel entretien avec Appollo.

mercredi 5 novembre 2025

J'écris de chez les handicapées

La Bossue, est un roman-récit, très inspiré de la vie de son autrice, Sao Ichikawa
C'est une véritable gifle, littéraire et politique, où elle fait prendre conscience de l'enfer d'être différent, notamment dans le regard ou l'indifférence des autres. C'est aussi violent que touchant.
La narratrice est clouée dans un fauteuil roulant et vit avec un respirateur artificiel, comme l'autrice. Son corps déformé par une maladie musculaire se meut avec une très grande difficulté. Elle ne sort jamais de ses quatre murs, mais son esprit s'évade et elle s'invente d'autres vies. Elle revendique son droit à la "normalité" et rêve de tomber enceinte pour pouvoir avorter.
Elle essaie de suivre des cours à distance à l'Université avec ce que cela implique d'empêchements et de discriminations. 
Elle écrit entre autres des textes érotiques crus et des articles où elle est censée faire part de son expérience dans des lieux échangistes, en s'inspirant de témoignages lus sur internet.

Au Japon,  (...) les personnes handicapées ne sont pas censées faire partie de la société. Au Japon, une personne en bonne santé n'a tout simplement jamais eu à se représenter une monstresse bossue en train de lire un livre. Moi, chaque livre en papier que je lis plie un peu plus ma colonne vertébrale, mais il faut se farcir à tout bout de champ ces gens en bonne santé qui dénigrent les livres électroniques parce que l'odeur du papier, n'est-ce pas, le sublime toucher de la page que l'on tourne, ils adorent, les pauvres chéris.

Paf ! dans la gueule. De quel côté sont les vrais monstres ?

Globe, 2025, 96 pages. 

Vive les erreurs et les errances !

Éloge de l'erreur et de l'ignorance est un passionnant essai philosophique de Gianrico Carofiglio
Il ne s'agit nullement de défendre les crétins, bien au contraire, mais de valoriser ceux qui doutent et qui savent qu'ils ne savent pas tout, même lorsqu'ils ont atteint un haut niveau d'expertise, ceux qui se remettent sans cesse en question, ceux qui abordent une idée ou un projet avec un esprit de débutant qui a tout à apprendre, qui improvisent devant l'inconnu, qui savent changer leurs plans et qui savent reconnaître leurs erreurs. 
En effet, c'est dans cet état d'esprit que l'on peut, parfois, faire de grandes découvertes : en bifurquant de son intention première.
Malheureusement, on a tendance à croire le premier fifrelin qui assène ses vérités comme science infuse. 
Or, nous sommes humains, imparfaits, et avons le droit à l'erreur, aux erreurs et à l'errance, avant de trouver et de progresser.

Rivages, 2025, 108 pages. 

Loin de tout

Quand dansent les oiseaux de Kiyoko Murata est un roman poétique et nostalgique sur le temps qui passe et les choses qui ne reviendront plus, mais aussi sur le moment présent. 
Loin des grandes mégalopoles japonaises, des îles sont isolées et désertées. 
Sur une de ces îles, vivaient encore trois plongeuses, très âgées, attachées à leur rude insularité, à la mer, à la nature environnante — même si elle peut être dangereuse avec des tempêtes fréquentes — et à leur spiritualité, quand l'une d'elle décède. 
La fille de l'une des deux autres arrive avec l'intention de ramener sa mère avec elle sur la terre ferme. Mais la vieille femme a toute sa vie sur son île et n'en a pas du tout envie. En plus, cela laisserait la dernière toute seule. 
En attendant de convaincre sa mère et de trouver une solution, la fille reste encore quelques jours dans l'île où elle a passé sa jeunesse. 
Nous voilà plongés — c'est le cas de le dire — dans cette nature et cette atmosphère mystérieuse et magique, loin de tout, dans une vie quotidienne rythmée par la pêche, l'entretien du potager, la visite du bateau qui relie les îles et surveille les côtes car les îles désertes attirent les clandestins. Le danger peut venir des hommes, mais aussi des tempêtes. 
Un très beau roman suspendu comme une île entre mer et ciel, entre sérénité et inquiétude.

Philippe Picquier, 2025, 224 pages.  

mardi 4 novembre 2025

La musculation est un sport de combat

 Une couverture fluo et soft touch
Le titre en dit long sur ce que Martin Page développe dans ce livre : Douceur de la musculation pour les artistes, les queers, les femmes, les inadaptées, les vieux, les handicapées, les neuroatypiques, les parents, les pauvres, les non-conformes, les dégoûtées du sport. 
C'est à la fois un essai, un manifeste politique qui déconstruit le sport — et surtout la musculation qui est souvent tournée en ridicule —, un guide pratique avec des conseils, un ouvrage de philosophie, mais aussi un témoignage de l'auteur, de sa propre histoire et de son expérience. 
C'est un combat — mais pacifique, étonnant et réconfortant — contre les idées préconçues et les ennemis de la démocratie. Un combat jubilatoire pour changer les regards sur le sport et pour rassurer ceux qui en auraient été dégoûtés, notamment dans le cadre scolaire.  
C'est un livre d'émancipation, de liberté, de réappropriation de son corps et de confiance en soi.
L'ouvrage démonte bien des clichés et traite essentiellement d'inclusion — l'auteur écrit au féminin générique, par choix et par solidarité avec les minorités invisibilisées — et s'adresse à tous ceux qui sont victimes de la compétition ou qui la refusent.  

Comme beaucoup de personnes queers, neuro-atypiques ou inadaptées, j'ai été dégoûté du sport au collège et au lycée. Dans les années 80 et 90, une pédagogie viriliste, validiste, sexiste et grossophobe régnait souvent. Les cours se passaient ainsi : les élèves les plus forts et les plus doués étaient désignés et se chargeaient de constituer les équipes. Forcément, nous étions choisis en derniers. Nous étions le rebut. Pour cette raison, nous avons cru que le sport n'était pas pour nous. Je veux le dire clairement : on nous a volé l'exercice physique. On nous en a dégoûtés. Et ça a des conséquences désastreuses, pour nous, notre santé, notre liberté, mais aussi pour la société. À chaque fois qu'un enfant est en échec et est humilié, on fabrique des catastrophes qui façonnent et détruisent les individus et la collectivité.

Martin Page est très convaincant : il donne envie de s'adonner à un sport ou une activité physique, avec joie et pour se faire du bien. Pourquoi pas la musculation ?

Le nouvel Attila, 2025, 174 pages.

Les exils des Galiciens

Les chemins de la colère. Road trip à travers la crise économique d'Antonio Rodriguez Cantiñeira est un récit recomposé pour mieux faire comprendre l'état des lieux et d'esprit de ceux qui ont réellement écopé de la crise de 2008.
Originaire de cette région du nord de l'Espagne, la Galice, également appelée la Côte de la Mort (!) parce qu'elle est dangereuse, l'auteur est journaliste économique. 
Il a grandi en Suisse car ses parents ont dû s'exiler pour trouver du travail. Et quelques générations plus tard, les jeunes Galiciens doivent à nouveau s'exiler pour tenter de gagner leur vie. 
Il entreprend un voyage en "taxi", c'est-à-dire avec un de ces nombreux automobilistes qui transportent des passagers et colis à partir de l'Espagne, pour aller à la rencontre de ceux qui subissent la crise et l'austérité. 
Au cours de ces pérégrinations, il va faire le chemin de Compostelle en sens inverse des pèlerins, donc vers la Suisse où ont immigré de nombreux Galiciens. C'est aussi ce voyage qu'il faisait en voiture avec ses parents quand ils revenaient de vacances. Il fait largement référence aux Raisins de la colère de Steinbeck où il est de cette autre crise de la Grande Dépression qui a mené de nombreux migrants sur les routes. 
Entre souvenirs et enquêtes, il interroge ceux qui sont restés, ceux qui sont revenus et ceux qui n'ont pas d'autre choix que partir.
Passionnant, poignant et très bien écrit. 

Bayard Récits, 2025, 256 pages.